La bonne chère et les chairs bien bonnes, voilà ce que Gustave Flaubert apprécia lors de ses deux séjours alsaciens. Le 13 juillet 1865, il arrive à la gare de Strasbourg depuis Paris, pour se rendre à Baden-Baden chez son ami l’écrivain russe Ivan Tourgueniev. Il y retrouve aussi Maxime du Camp, avec qui il a voyagé en Bretagne et en Égypte… Le Badeblat annonce l’arrivée de la célébrité dans son édition du 15 juillet ; Flaubert écrit à Louis Bouilhet : « Quel beau pays » ! Mais les compères ne se retrouvent pas seulement pour les bienfaits des eaux thermales. Ils traversent à nouveau le Rhin, il n’y a pas de bal du 14 juillet, célébration qui ne débutera qu’en 1880, ils veulent s’étourdir dans la Petite France pour, je cite la correspondance de Gustave : « une nuit de danse et de baisades comme à Esmeh en Haute-Égypte avec l’esclave abysienne Kuchuk Hanem ». Ils décident ensuite de faire bombance.
Il y a près de Rosheim une auberge très connue, adossée à la Chartreuse, où Flaubert prend l’initiative de la commande du menu. Le repas va durer 16 heures, j’ai retrouvé la trace écrite très précise de ce banquet : des aloyaux, la pièce noble du bœuf, pour commencer. Puis, fricassée de poulet, veau à la casserole, gigot, cochon de lait rôti, andouille à l’oseille, crème jaune et crème avec décor en nonpareille, des tourtes, des nougats, enfin une pièce montée avec des fortifications en angélique parsemées d’amandes, de raisins secs et de quartiers d’orange, de lacs de confiture et de bateaux en écales de noisettes, et une escarpolette de chocolat. En boisson, du schnaps en carafe, du riesling pétillant doux et des verres remplis de vin jusqu’au bord. J’ai découvert également que le cuisinier était normand, et qu’il se servait essentiellement de produits locaux des fermes et des maraîchages de la Leonardsau à Boersch.
Ce n’était peut-être pas la première fois que Flaubert passait en Alsace. En mai 1851 avec sa mère, il rentre d’un séjour à Venise. Après une altercation avec un douanier autrichien, ils traversent l’Allemagne jusqu’à Strasbourg pour prendre ensuite le chemin de Rouen. La présence de la maman n’avait certainement pas permis de belles extravagances. Mais le caractère complexe des Alsaciens croisés lors de ce voyage inspirera certainement l’écrivain puisqu’une semaine plus tard il débutera la rédaction de Madame Bovary. Emma Bovary un peu alsacienne ?
Ambroise Perrin