Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, chaque matin, quand l’autocar qui l’emmenait au collège passait devant l’imposant palais, la petite Myriam s’imaginait qu’un jour, elle ouvrirait les volets, restés fermés depuis si longtemps. Quarante ans plus tard, un samedi matin, à 8 h 05, une amie de ce fameux bus l’informe que le château est à vendre. Elle transfère tout de suite l’annonce à son mari, Franck, qui lui répond, ni une ni deux « fonce, chérie ».
« À 8 h 30, j’ai appelé l’agent immobilier qui m’a annoncé que le pavillon avait déjà trouvé preneur ». Myriam insiste, ce château est pour elle et pour personne d’autre, elle ne sait pas où, mais c’est écrit quelque part, elle remue ciel et terre, contacte sa banque, prépare un dossier béton et harcèle l’agence et obtient l’accord pour une visite avec les propriétaires le même jour, à 16 h 30. Sur place, surprise, triste vision : le château est difficile d’accès, le jardin s’est transformé en jungle, il faut vraiment se frayer un chemin pour accéder à l’entrée. Et là, c’est presque une scène d’après-guerre qui se livre à leurs yeux, les fenêtres sont cassées, les arbres allongés dans la salle à manger, la verrière brisée, la mousse recouvre le plancher, les murs sont tagués, la nature ainsi que les squatteurs ont pris leurs aises, mais il en faut plus pour faire peur à Myriam qui lance au château, dans sa tête ou tout haut : « Je vais te faire beau ».
L’émotion du couple charme les propriétaires qui changent alors d’avis, la forteresse sera pour eux, pour pas loin de 400 000 euros. Affaire conclue ! Myriam cesse alors son activité d’agent de voyage qui lui faisait parcourir le globe et rejoint l’entreprise de chauffagiste de son mari : « Franck espérait me voir plus souvent à la maison, je lui avais dit que, pour me faire arrêter de voyager, il faudrait un projet de taille, c’est plutôt réussi ! ».
Ils contactent des artisans pour obtenir des devis, mais personne n’ose vraiment chiffrer les travaux. « On a donc décidé de tout décortiquer pour trouver ce que nous pouvions restaurer nous-mêmes afin de limiter les frais ». Les amoureux consacrent tout leur temps libre à l’imposante bâtisse. « C’était parfois épuisant et il y a eu des coups durs, mais dès que je passais les portes, je retombais dans l’insouciance, il n’y a pas de notion du temps ici, on est dans une bulle, on s’y ressource, même quand on trime ».
Les effractions se transforment en chantiers participatifs
Cependant, quand il se rend sur le site, le couple est souvent arraché à ses rêveries par la visite impromptue de personnes entrées par effraction. « L’endroit est connu entre autres par les adeptes d’urbex (une pratique consistant à visiter des lieux construits et abandonnés), tous pensaient que le domaine était encore abandonné, on avait beau barricader, si l’on fermait à droite, ils rentraient à gauche, c’était le jeu du chat et de la souris ». Alors, plutôt que de se disputer, un beau matin, Myriam tend aux quelques ″visiteurs″ un sac vide et leur lance : « vous voulez rester, très bien, profitez-en pour nous aider à sauver le château ».
Ensemble, ils déblaient les premiers gravats et c’est ainsi que naissent les chantiers participatifs au château Burrus. « Les semaines suivantes, ils revenaient avec des amis pour nous prêter main-forte. Au début je faisais griller une dizaine de merguez dehors, mais ils sont venus de plus en plus nombreux alors nous organisons un rendez-vous mensuel à trente bénévoles par session. J’ai rangé mon petit barbecue au grenier et le traiteur L’atelier de Guillaume, touché par notre histoire, nous offre le repas à chaque fois, la boulangerie Kissy, elle, nous offre le dessert ». Toutes ces petites mains contribuent à la renaissance du château, et donc les persiennes s’ouvrent, une à la fois. « Sans l’aide de toutes ces personnes, ce chantier serait un gouffre », confie Myriam.
Voilà onze mois que les travaux ont débuté et les châtelains débutants s’en sortent bien. Bientôt les 34 pièces pourront accueillir cérémonies, soirées, activités culturelles, ateliers, chambres d’hôtes, etc. « Ce château a traversé les guerres et a vu passer bon nombre de générations, nous ne faisons que « l’emprunter », mais quitte à être de passage, autant en profiter pour le rendre beau et le partager avec d’autres passionnés, autrement à quoi bon ! ».
L’info en plus
Le château accueillera ses premiers mariages en 2023. D’ailleurs, le premier à être célébré dans l’édifice sera – roulements de tambours – celui de Myriam et Franck, accompagnés de leurs grands enfants et proches.
Le chiffre : 2500
C’est le nombre de mètres carrés du château Burrus, c’est sans compter la gigantesque « maisonnette du gardien » et les hectares de forêt !
Petit photoreportage sur place, le plancher a entretemps été totalement poncé et ciré.